Chocolatine ou pain au chocolat ? C’est l’éternel débat, et nous avons la réponse ! D’ailleurs, cet article a eu l’honneur d’être élu Article Culinaire de l’Année 2016 par le Festival des Influenceurs Culinaires. Mais avant de vous donner la réponse, et face à l’ampleur des débats suscités par cet article, je tiens à rappeler qu’il ne s’agit que de bouffe ! Pas la peine de se stresser, vous avez tous le droit d’appeler ça comme vous voulez, tant que c’est bon !

Bon, aujourd’hui il est grand temps de s’attaquer à l’un des principaux problèmes gastronomiques de notre pays : la question de la chocolatine et du pain au chocolat. On sait que c’est un problème qui divise les français. Peut-être plus encore que le clivage gauche-droite, plus que le conflit Iphone-Android, et plus encore que la guerre Coca-Pepsi. Et il est temps de trancher cette question, une fois pour toute.

Résoudre le débat pain au chocolat – chocolatine

D’abord : de quoi parle-t-on ? La chocolatine ou pain au chocolat, c’est une viennoiserie composée de pâte levée feuilletée, généralement rectangulaire, et fourrée avec du chocolat. Sans que l’on sache vraiment pourquoi, cette petite douceur de nos boulangeries a créé dans notre pays une véritable scission, une fracture irréparable. D’un côté, une majorité de la population appelle ça « pain au chocolat » de l’autre, un bastion d’irréductibles sudistes l’appelle la « chocolatine« , ainsi que quelques québécois. 2016 devant être une année de paix et de réconciliation après tout ce que nous avons traversé en 2015, j’ai décidé de me lancer dans une croisade qui permettra enfin de faire éclater la vérité sur ce sujet et d’apaiser les coeurs.

Retour donc sur l’épineux problème du pain au chocolat et de la chocolatine, avec 4 questions.

Pain au chocolat ou chocolatine : quel terme est le plus employé ?

Carte pain au chocolat chocolatine

Vous avez déjà forcément vu ces cartes : la majorité de la population française emploie le mot « pain au chocolat ». « Chocolatine » est réservé aux régions bordelaises et toulousaines. En Belgique, on emploie plus volontiers le mot « Couque au chocolat », mais « pain au chocolat » est aussi connu, alors que « chocolatine » est très marginal. Au Québec, c’est « chocolatine » qui remporte le match puisqu’il est un terme quasiment officiel outre-atlantique.

Mais au nombre de locuteurs, c’est tout de même pain au chocolat qui gagne. D’ailleurs, il y’a même un site internet entièrement dédié à ce débat, et pour l’instant, c’est bien pain au chocolat qui a le plus de partisans. Si vous voulez voter, c’est par ici : https://chocolatineoupainauchocolat.fr/.

Chocolatine 0 – Pain au chocolat 1

Chocolatine ou pain au chocolat : quel terme est le plus ancien ?

Kipferl pain au chocolat chocolatine
Un Kipferl : l’ancêtre autrichien du croissant

Pour connaître le vrai nom de ce produit, tentons un instant de remonter à son origine. Le pain au chocolat est une viennoiserie. Pour ceux qui ne le savent pas, ce terme a commencé à être utilisé au XIXème siècle en France pour désigner des pâtisseries d’inspiration viennoise. En effet, à cette période les échanges culturels entre l’Autriche et la France sont plutôt forts : le Royaume de France et l’Empire Autrichien sont deux des principales puissances européennes, qui plus est liées par alliance (Marie-Antoinette d’Autriche était Reine de France à peine quelques décennies plus tôt). La première « Boulangerie Viennoise » est installée en France dans les années 1830 au 92 rue Richelieu (dans l’actuel deuxième arrondissement, près de la Bourse), et est dirigée par un autrichien : Auguste Zang. C’est lui qui va véritablement apporter à Paris la mode des viennoiseries, comme l’atteste l’historien culinaire Jim Chevalier, dans son livre « August Zang and the French Croissant : How Viennoiserie Came to France ».

Ces pâtisseries viennoises sont à l’époque faites avec de la pâte à brioche, et on retrouve parmi elles le fameux croissant autrichien (Kipferl, qui deviendra notre croissant), le pain empereur (Kaisersemmel) et même un croissant fourré au chocolat (Schokoladencroissant).

August Zang croissant chocolatine pain au chocolat
August Zang, l’importateur des « Schokoladencroissant » (« Chocolatine ») en France

Vous allez me dire, ça ne nous avance pas beaucoup sur le nom du pain au chocolat pas vrai ? Eh bien si ! L’hypothèse la plus probable de l’origine du nom « chocolatine » viendrait justement de cet autrichien. L’entendant vendre des « Schokoladencroissant » avec son accent autrichien, les français auraient progressivement transformé le mot en « Chocolatine » (Schokoladen – Chocolatine, vous voyez ?). Pour les boulangers autrichiens, le « pain au chocolat » évoque tout autre chose, c’est le Schokoladebrot, qui ressemble plus à un cake au chocolat.

Il y a une hypothèse qui veut que le mot « Chocolatine » soit d’origine anglaise, mais elle est historiquement fausse (voir à la fin de l’article pour plus d’infos)

Il est donc probable que le premier terme pour désigner une viennoiserie fourrée au chocolat ait été « Chocolatine », à cause de cette déformation linguistique. Et c’est d’ailleurs plutôt logique puisque la particularité de cette viennoiserie est surtout d’être au chocolat (elle a d’ailleurs vite perdu sa forme de croissant). Quand au terme « pain au chocolat » il serait plus récent. D’après Nicolas Berger, auteur d’une encyclopédie du chocolat (Chocolat, mots et gestes) publié aux éditions Alain Ducasse, le mot pain au chocolat désignait à l’origine un morceau de pain dans lequel on fourrait un bout de chocolat pour le goûter des écoliers. Lorsque les viennoiseries ont été reprises et réinterprétée par les pâtissiers français au début du XXème siècle, en utilisant notamment de la pâte levée feuilletée, certains auraient repris ce terme. Progressivement, l’utilisation du mot d’origine « chocolatine »  n’a été conservée que dans le Sud-Ouest, probablement à cause de sa proximité avec des mots occitans.

Mais l’original était bien chocolatine !

Chocolatine 1 – Pain au chocolat 1

Quel est le terme technique : pain au chocolat, ou chocolatine ?

Essayons maintenant de comprendre quel est le terme technique le plus adéquat. On sait qu’aujourd’hui dans les écoles de pâtisseries, on parle de « pain au chocolat ». Il semblerait donc que le vrai terme technique soit celui-là. Vraiment ? Dans la pâtisserie française traditionnelle, et ce depuis Antonin Carême et son Traité élémentaire et pratique de la pâtisserie moderne et ancienne, on appelle « petit pain » ou « pain » toutes les pâtes fourrées. Ainsi, Antonin Carême appelait même les profiteroles « petits pains », alors que ça n’a rien à voir avec du pain.

Pain viennois au pépites de chocolat
Un pain au chocolat « viennois »

Mais si l’on observe la composition de notre petite viennoiserie au chocolat, les choses sont différentes. Ce qu’on appelle « pain » en pâtisserie est en général fabriqué avec de la pâte à pain au lait, ou au mieux de pâte à brioche : c’est le cas du pain au lait ou du pain viennois par exemple. Or le pain au chocolat utilise une pâte levée feuilletée, plus proche de celle qu’on retrouve dans les croissants, les vol-au-vent ou les galettes des rois. Logiquement, on devrait donc dire « pain au chocolat » pour des viennoiseries faites à base de pâte à pain au lait, et employer un autre terme pour désigner celle faite avec de la pâte levée feuilletée. Une raison donc de revenir au terme initial « Chocolatine ».

Chocolatine 2 – Pain au chocolat 1

Emploie-t-on le terme pain au chocolat ou chocolatine à l’étranger ?

Puisque les viennoiseries s’exportent partout dans le monde, on peut aussi trancher en voyant comment les étrangers en parlent. On sait qu’au Canada, via le Québec, on dit plutôt chocolatine. Dans les pays germanophone, on emploie plus volontiers le terme « Schokoladencroissant ». Dans les pays anglophones, notamment les USA, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, on dit « chocolate croissant », notamment dans les grandes enseignes comme Starbucks. En Espagne un équivalent local est vendu sous le nom « Napoletanas », et au Mexique et en Amérique Latine, quand on en trouve, on parle de chocolatine. Sinon, un peu partout on trouve le terme « pain au chocolat » directement en français sans le traduire. Pas de réponse franche à la question donc …

Les "chocolate croissant" de chez Starbucks
Les « chocolate croissant » de chez Starbucks

Mais le problème, c’est que sur le plan lingustique, le mot pain au chocolat n’a pas de logique. Il introduit d’ailleurs une confusion pour beaucoup d’étrangers. Quand on traduit « pain au chocolat » dans ces langues, ça évoque plus un cake ou un pain qu’une viennoiserie. La preuve, c’est que Starbucks par exemple sur son site web est même obligé d’expliquer la traduction de nos « chocolate bread »…

On est les seuls dans le monde à utiliser ce non-sens : parler d’un pain pour un truc qui n’a rien à voir avec du pain. Ce n’est ni de la pâte à pain au lait, ni de la pâte à pain, ni même de la pâte à pain d’épice ! Alors pourquoi on parle de pain bordel ? Chocolatine en revanche, c’est un terme unique, notre terme à nous, le terme originel ! On peut donc donner 1 point à pain au chocolat car c’est un terme un peu plus connu à l’étranger (et encore, pas partout), mais 1 point à chocolatine car le « pain au chocolat » ne veut rien dire, et parce qu’il porte à confusion à l’étranger, au point qu’ils doivent dire « chocolate croissant » pour s’y retrouver…

Chocolatine 3 – Pain au chocolat 2

Conclusion : pourquoi il faudrait dire chocolatine ?

C’est clair non ? A l’origine, c’était chocolatine, le terme chocolatine est plus pertinent du point de vue culinaire, plus logique et en plus, pain au chocolat pour une viennoiserie, ça n’a aucun sens.

Donc oui, oui amis nordistes, vous êtes majoritaires et tout ça, presque partout en France on dit pain au chocolat, et on apprend même ça dans les écoles de pâtisserie. Oui, les sudistes sont presque seuls dans leur combat pour la chocolatine, mais historiquement, logiquement, culinairement parlant, ils ont raison. Et puis, Galilée aussi était seul quand il disait que la Terre tournait autour du soleil.

Voilà le débat enfin tranché : on devrait dire chocolatine, mais on va pas faire changer 40 millions de personnes comme ça, pas vrai ? Cela dit, la question se pose réellement en termes de préservation du patrimoine culturel, puisque certains députés français ont proposé en 2018 d’inscrire dans le Code Rural la préservation des appellations régionalisées comme la chocolatine.

Surtout qu’il reste la question du pain au raisin, qui lui non plus ne devrait pas s’appeler comme ça. Chez moi on appelle ça un escargot, et chez vous ?

PS : Pourquoi l’hypothèse « Chocolate-in » est fausse

Une hypothèse circule sur le net, disant que le mot chocolatine viendrait de l’Anglais « chocolate in ». Ça viendrait de l’époque ou l’Aquitaine était anglaise, et où les anglais demandaient du « chocolat dans du pain » (chocolate in bread), qui serait devenu chocolatine dans le Sud-Ouest. Ok, l’hypothèse est marrante… Mais aussi complètement fausse.

En effet, l’Aquitaine a bien été ‘possession’ anglaise pendant une période (en gros, du mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec le roi d’Angleterre jusqu’à la Bataille de Castillon en 1453 ou ils sont « boutés hors de France »). Mais à cette époque on ne connait pas les pâtisseries-viennoiseries en France. Et surtout, on ne connait absolument pas le chocolat ! Le chocolat est une fève issue d’un arbre américain, inconnu en France à l’époque. Il est découvert en même temps que l’Amérique (« officiellement » en 1492 par Christophe Colomb je vous le rappelle pour ceux dont les souvenirs scolaires sont flous), et n’est ramené en Europe qu’en 1528 dans les bateaux d’Hernan Cortes.

Donc à moins que les Anglais ait eu le pouvoir de voyager dans le temps, il est impossible qu’ils aient pu parler de « chocolate in bread » lorsque la région était à eux. Voilà !


Et pour finir, je vous rappelle que l’essentiel est d’aimer cette viennoiserie, et qu’elle soit bien grasse et de préférence encore chaude. Tout ce débat reste théorique au fond, alors il faut le prendre à la rigolade ! Surtout qu’on ne saura probablement jamais la vérité sur l’origine de ces deux noms, à moins qu’un grand historien décide de se pencher à fond sur la question ! Alors, rigolez et mangez ! (et n’oubliez pas que sur ce blog, il y a aussi plein de super recettes et notamment la VRAIE recette des canelés Bordelais, une sublime recette de lasagnes à la bolognaise à l’Italienne, ou encore la recette des meilleures tagliatelles à la Carbonara du monde ou encore le fameux chapon sauce au foie gras pour Noël ! Je dis ça, je dis rien)